« Un jour, la boule au ventre, j’ai mis une robe et je suis allée faire mon métier. »

Véli Fénwar

Certains utilisent « madame », d’autres « monsieur » et parfois les deux. Je me plais à croire que ça en dit plus sur eux que sur moi. 

Mon témoignage est celui d’une femme transgenre en questionnement, d’une femme qui se demande chaque jour si elle peut être et /ou se dire femme alors qu’elle s’apprête à affronter une institution qui ne souhaite pas de vagues et des jeunes pour qui je suis à la fois un objet de curiosité et un symbole d’espoir. 

Je m’appelle Véli Fénwar, je suis professeure de lettres-anglais dans un lycée professionnel et je suis une femme trans. Mon intention via cet article est de mettre en lumière mon expérience en tant qu’employée de l’Education Nationale et enseignante en exercice (face aux élèves).

Une institution à la recherche d’un personnel neutre

Au début de ma carrière, j’ai voulu correspondre aux attentes de mon employeur à savoir effacer complétement qui j’étais pour me soumettre au principe de neutralité. J’ai voulu me créer ce personnage qui ne mélange pas tout et qui n’existe pas face aux élèves car sa seule mission est de transmettre un savoir. J’ai eu tort. Les élèves me faisaient comprendre tous les jours qu’ils savaient que j’étais différente et que je jouais à un jeu alors qu’eux, ces jeunes qui fréquentent le lycée professionnel, ne trichent pas. Ils se montrent entièrement, lumière et zones d’ombres, tout est là, tout existe. Un magnifique chaos. 

Logiquement, au bout de quelques années, j’ai touché le fond. J’ai eu 30 ans et j’ai réalisé que je devais m’autoriser à être moi. J’ai réalisé que je serai plus efficace, plus utile à ces adolescents en étant authentique et en montrant, moi aussi, mes fêlures. Alors à la rentrée de septembre, j’ai d’abord commencé par adopter un style androgyne, à laisser dire lorsque les nouveaux entrants m’appelaient « Madame », à faire avec les sous-entendus, les remarques, les regards interrogateurs des collègues. De fil en aiguille, j’ai osé la jupe et depuis peu la robe. A chaque nouvelle étape j’étais terrifiée, j’avais tellement peur de revivre des humiliations, de déplaire, de défrayer la chronique dans un bahut où il ne se passe pas grand-chose. Pour le coup, c’est ce qu’il s’est passé : pas grand-chose. Un jour, la boule au ventre, j’ai mis une robe et je suis allée faire mon métier.

Avec un peu de recul, je sais que si j’ai osé franchir le pas, c’est d’abord parce que l’environnement professionnel dans lequel j’évolue est plutôt serein. Je m’y sens relativement bien et en sécurité. Pourtant, jusqu’à maintenant, je n’ai rien fait (pas encore ?). Je m’explique : je n’ai pas discuté avec ma hiérarchie, ni avec les parents d’élèves, ni même avec tous les collègues et encore moins les élèves alors qu’ils me connaissaient sous un jour différent.  Je ne sais pas non plus si ça aurait été une bonne chose de devoir faire tout ça avant de m’autoriser à adopter une autre expression de genre. J’ai fait ce que j’ai cru juste d’abord pour moi. 

Je ne suis plus neutre et j’en suis fière. Cette authenticité retrouvée fait de moi une meilleure enseignante, un meilleur modèle pour ces jeunes en quête de sens. 

Face aux élèves, face aux collègues 

Il y a deux types d’élèves : celles et ceux qui sont en admiration et celles et ceux qui sont méfiant.es. De mon côté, dans un premier temps, j’ai évité les questions et/ou réactions puisque je n’étais pas à l’aise, je ne me pensais pas prête, pas assez outillée. Je voulais avoir les mots justes alors qu’il n’y en a pas. Maintenant ça m’arrive de répondre à des questions intrusives et d’autres fois j’exige qu’on passe à autre chose. Parfois, j’ai envie d’hurler « c’est Madame ! » et d’autre fois je veux me faire toute petite ; dans ces moments-là, je rêve de me défaire du genre.

Ma philosophie est la suivante : mes élèves ont le droit de réagir, de questionner, de me bousculer (jusqu’à un certain point). Ce sont des jeunes en construction que je dois accompagner afin d’en faire des adultes ouverts et « éclairés » (c’est l’une de nos missions en tant qu’enseignant). En revanche, si un jour je devais face à des insultes, à de la transphobie, je sais aussi que mon rôle sera de réagir et de ne rien laisser passer. En tous les cas, je reste l’adulte, la référence et je souhaite aussi transmettre des valeurs qui me sont chères. 

Les collègues ont droit à des questions sur mon identité de genre, je pense qu’ils ne me disent pas tout. Je sais aussi que mon corps est observé, scruté, des élèves disent que j’ai des seins, d’autres disent que je suis bonne. C’est ça aussi être une femme : faire face au sexisme.