Le week-end des 6 et 7 novembre, Mastodon, un réseau social libre et auto-hébergé de la Fédiverse, a fait l’objet de campagnes de harcèlement de la part de plusieurs comptes transphobes et sérophobes, pour certains hébergés sur des instances « free speech ».
Pour rappel, Mastodon est constitué de différentes instances autonomes, régies par leurs propres codes éthiques et règles de modération. Mastodon présente ainsi l’avantage de pouvoir proposer des espaces en grande partie « safe », c’est -à -dire exempts de violences et de malveillance pour les communautés LGBTQIA+.
On y trouve cependant des instances free speech (sans modération), habituellement bloquées par le reste du réseau de la Fédiverse en raison de leurs dérives voire de leurs ancrages politiques à l’extrême-droite ou Alt-right.
Des listes rendues publiques et partagées sur le net
Ce samedi 6 novembre, plusieurs comptes nouvellement créés, hébergés sur diverses instances, ont rendu publiques sur Mastodon des listes identifiant les adresses de comptes de plusieurs dizaines voire centaines de personnes. Ces listes étaient également accessibles sur le net, via des liens et pages créées ad hoc. Les comptes auteurs de ces listes portaient des noms sans équivoque, entre « tranny_list », « trans_list » ou « tranny_AIDS ».
« La liste contenait de nombreuses personnes trans, visiblement composée d’après des mots clés cherchés dans leurs bios, et avec comme cible les femmes trans. » précise alice, mastonaute.
Si une grande partie des modérateurs et mastonautes a pu réagir en bloquant et signalant ces intrusions, d’autres comptes ont essaimé dans la nuit du 6 au 7 novembre. Ces comptes ont repris les listes diffusées et sur cette base, ont adressé des photos et messages d’une extrême violence sérophobe et transphobe aux personnes identifiées.
Une vaste mobilisation de soutien
Grâce aux nombreux signalements de la mastosphère, à la diffusion et à l’utilisation du hashtag #Fediblock, il n’a fallu que quelques heures aux modérateurs des instances safe pour bloquer les agresseurs, voire pour bannir les instances free-speech les accueillant. En prévention de nouvelles tentatives de listings, des recommandations visant à protéger au mieux la confidentialité de son compte, par la modulation des paramètres de confidentialité ou la modification des informations accessibles publiquement – par exemple éviter l’utilisation du terme « trans » ou « enby » dans sa bio – ont circulé parmi les utilisateurices.
D’autres mastonautes ont au contraire proposé que chaque personne disposant d’un compte Mastodon intègre d’une manière ou d’une autre le terme « trans » à sa présentation afin de brouiller les pistes et de rendre tout filtrage impossible.
Ce vaste mouvement collectif d’entraide, visant à rendre indiscernables les comptes des adelphes trans, n’est pas sans poser de nombreuses questions.
Mastodon n’est pas intrinsèquement plus safe qu’ailleurs
La recommandation émanant d’une partie des membres du réseau de ne pas faire apparaître publiquement son identité de genre, afin de ne pas être intégré aux listes, a notamment pu être questionnée par certain·e·s, ne souhaitant pas se soumettre à la pression de l’invisibilisation, et ce d’autant plus sur un réseau régulièrement considéré comme safe.
Néanmoins comme le rappelle Clem, admin, Mastodon n’est pas
« intrinsèquement plus safe qu’ailleurs : si tu as une modération vraiment forte sur une instance, tu peux en faire un espace plutôt cool, mais il faut faire confiance à toutes les instances avec lesquelles tu fédères. On l’a bien vu là, toutes les instances avec des inscriptions ouvertes sont soudainement devenues un endroit potentiel ou ces comptes pouvaient être créés et harceler les gens, la modération est *a posteriori* et n’empêche pas un mauvais acteur de revenir super facilement. »
Même constat de la part d’alice, pour qui cette situation montre « encore une fois que les outils de modération de Mastodon ne sont pas toujours suffisants ou adaptés. Et que des gens voulant notre mort sont toujours dans un autre coin du réseau même si on fait ce qu’on peut pour les éviter. »
Certaines personnes ont d’ailleurs préféré supprimer leur compte et quitter le réseau.
Se rendre visible, se rendre invisible : réalités
Ainsi, dans un climat actuel de tensions accrues, où les attaques transphobes se font de plus en plus nombreuses sur la toile et affectent émotionnellement les personnes, la nécessité de faire communauté pour organiser sa protection – mais également sa résistance – s’avère plus que jamais nécessaire : et c’est très clairement ce qu’a illustré le week-end des 6 et 7 novembre la vaste mobilisation de la mastosphère et des adelphes trans, en multipliant les actions de soutien, en proposant des outils de défense à la main des personnes et en popularisant largement l’utilisation du hashtag #Fediblock, visant à lutter contre les instances malveillantes.
Pour conclure, se rendre visible, se rendre invisible reste et demeure, pour les personnes trans, un sujet ambivalent et lourd à porter, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un non-choix, d’une exhortation implicite ou explicite voire d’une obligation administrative – auquel cas on « est rendu · e visible » – avec toute l’invisibilisation de la réalité des vécus et de la parole des concerné.e.s que cela induit.
Pensons ainsi aux adelphes soumis.e.s à la pression des biais transphobes des sites de rencontres et contraint.e.s d’indiquer clairement leur identité de genre au risque d’être accusé·e·s de « tromperie » ; pensons au Projet de Loi 2 au Québec qui prévoit de doubler la mention de sexe sur les documents d’état civil par la mention d’identité de genre ; ou plus directement, en France, au Pass Sanitaire, cet outil d’outing par excellence, comme le risque de le devenir le futur Mon Espace Santé, dont la crainte à ce jour est qu’il puisse donner toute latitude aux médecins traitants d’accéder à l’intégralité des données de santé contenues dans le Dossier Médical Partagé de leurs patient.e.s – dont les personnes trans – sans leur consentement. Tout dépend du cadre, des normes et du contexte, de la législation et du degré de sensibilisation de la population, des injonctions, des risques et des menaces, de la haine et du désir que l’on inspire, aussi.
Être trans en 2021 équivaut toujours à cheminer sur une corde raide, prête à se rompre au moindre faux pas, au moindre changement d’atmosphère – quand bien même se situerait-on en un lieu supposément safe. Et il s’agit de ne jamais baisser la garde, avec tout l’épuisement psychique que cela induit.
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