Aux États-Unis, une guerre législative est déclarée aux droits reproductifs des femmes et des personnes trans : le droit constitutionnel à l’avortement a été révoqué aujourd’hui par la Cour Suprême.
Un choc
Les États-Unis sont en plein processus de fascisation, avec un Parti Républicain radicalisé par le mandat de Trump, dominé par les mouvances chrétiennes ultra-réactionnaires et déterminé à mener une guerre aux femmes, aux personnes LGBT et aux personnes non-blanches.
Le Parti Démocrate détient actuellement la Présidence ainsi que les majorités à la Chambre des députés et au Sénat : si 50 sénateurs Démocrates votent pour une loi, la Vice-Présidente Kamala Harris peut apporter le 51ème voix nécessaire pour l’adopter. Et tout de même, alors que les Démocrates sont au pouvoir, le droit constitutionnel à l’avortement établi par l’arrêt historique Roe v. Wade en 1973 a été révoqué aujourd’hui par une décision de la Cour Suprême à majorité Républicaine. Cette décision retire en effet ce droit au niveau fédéral en laissant aux États la prérogative de statuer sur les droits reproductifs et définir leurs propres modalités. Le projet de cette décision a fuité dans les médias début mai, ce qui a laissé deux mois de préparation aux groupes activistes et aux cliniques d’avortement situées dans les états Démocrates pour se préparer à l’arrivée des femmes en fuite des états Républicains.
En effet, dans au moins 13 états, les législateurs républicains ont fait passer en amont des lois pour interdire et criminaliser l’avortement. Dans le Missouri, le Dakota du Sud, le Kentucky et la Louisiane l’avortement est donc déjà illégal à cette heure.
D’autres droits gagnés par des féministes et LGBTQIA+ sont en danger
Si la Cour Suprême à majorité Républicaine a décidé que le droit à l’avortement n’est pas protégé par le 14ème amendement de la Constitution, alors il pourra de la même manière remettre en question d’autres victoires du mouvement LGBT et féministe : le mariage gay, le droit à la contraception ainsi que le droit de former des relations intimes sans intervention de l’Etat.
Cette décision va sans aucun doute mener à une augmentation explosive des avortements clandestins pour les femmes les plus pauvres qui ne pourront pas se déplacer dans un autre État, provoquant ainsi des morts parmi les femmes pauvres, disproportionnellement non-blanches. Enlever la protection fédérale de l’avortement et laisser chaque État déterminer ses propres modalités voudra aussi dire que dans certains des états les plus radicaux, contrôlés par une extrême-droite motivée par la zèle chrétienne, des femmes & personnes trans ainsi que des médecins seront incarcérés pour le seul fait de pratiquer l’avortement.
Vision d’un futur : les femmes qui ont déjà été persécutées pour avoir pratiqué leur droit à l’avortement
Le 7 avril dernier, au Texas, Lizelle Herrera a été arrêtée et incarcérée pour avoir avorté en utilisant des pilules de contraception. L’organisation If/When/How a découvert que plus de 18 personnes ont été arrêtées ces dernières années aux Etats-Unis pour avoir eu recours à l’avortement. Depuis l’arrêt historique Roe v. Wade en 1973, plus de 1700 personnes ont subi des persécutions, souvent des incarcérations pour des avortements mais aussi pour des mortinaissances…
Ce n’est qu’un début : à l’heure actuelle, 39 États ont déjà des lois condamnant « l’homicide de fœtus » qui criminalisent les femmes et personnes trans qui peuvent donner naissance.

La cour suprême ultra-conservatrice dont les membres sont nommés à vie
La Cour Suprême est composée de 9 juges dont 6 sont conservateurs et dont trois ont été nommés par Donald Trump. Ce sont des juges anti-avortement et anti-LGBT qui ont été propulsés par le groupe Federalist Society qui cherche ouvertement à prendre contrôle des institutions pour y mener un agenda conservateur. Leur rêve a récemment été réalisé : la Cour Suprême dispose d’une majorité absolue conservatrice censée durer encore plusieurs générations car les juges sont nommés à vie.
La stratégie de Federalist Society n’a pas seulement visé la Cour Suprême mais impacte toutes les branches judiciaires : en suivant les recommandations du groupe, Donald Trump a nommé 226 juges dans les Cours fédérales, représentant plus de 28% du nombre total de juges fédéraux. Ainsi, les institutions états-uniennes sont infestées par la droite et l’extrême-droite ultra-conservatrice, et le parti Démocrate ne semble pas prendre la mesure de la gravité de la situation.
Au niveau institutionnel, un refus du parti démocrate de changer les règles du jeu
Les appels à augmenter le nombre de juges de la Cour Suprême de 9 à 13 se multiplient et sont soutenus par des membres de l’aile gauche du Parti Démocrate tels qu’Elizabeth Warren et Bernie Sanders. Mais le président Joe Biden ne souhaite visiblement pas mener de véritable bataille sur ce front, il n’a pas signé de décret exécutif pour augmenter le nombre de juges de la Cour Suprême, il n’a pas non plus pénalisé les Démocrates conservateurs au Sénat qui bloquent tout son agenda législatif : Joe Manchin et Kyrsten Sinema. Pour passer les lois sans rencontrer un blocage -le fameux Filibuster- de l’opposition Républicaine, les Démocrates ont besoin de 60 votes au Sénat. Or, ils disposent de seulement 50 sénateurs, dont deux sont des DINOs : Democrat In Name Only (Démocrates en Nom Seulement). Le parti ne souhaite pas appliquer d’efforts pour abolir les techniques d’obstruction parlementaire et se donner les moyens de pouvoir passer des lois.
Après avoir promis à ses donateurs capitalistes que sous son mandat “rien ne changerait fondamentalement”, Biden assume être un président “lame duck” (canard boiteux) qui ne peut rien faire contre les offensives de l’extrême-droite.
Pour combattre son aile gauche, le parti Démocrate soutient les anti-IVG
Le parti Démocrate est-il vraiment déterminé à protéger le droit à l’avortement ? On peut se poser la question quand, comme l’a remarqué dans son stream instagram du 25 mai la députée Alexandria Ocasio-Cortez, dans les primaires Démocrates pour les élections au Congrès, « toute la direction du Parti Démocrate a soutenu Henry Cuellar qui est pro-NRA et contre l’avortement, toute la direction du Parti Démocrate s’est mobilisée pour le faire gagner face au mouvement de terrain de la candidate progressiste Jessica Cisneros qui s’est opposée à Cuellar ».
Journaliste au journal The Intercept, Akela Lacy, note que dans ses primaires le parti Démocrate combat activement les candidatures progressistes en dépensant des centaines de milliers de dollars pour les vaincre et ce même dans les États où la victoire d’un candidat progressiste dans une élection générale est pratiquement garantie. Ainsi, le Parti démocrate combat férocement son aile gauche et lui préfère les Démocrates conservateurs soumis aux intérêts corporatistes.
Les illusions électoralistes cyniques données par le parti Démocrate
Pire, un nombre de politiciens, de journalistes et d’analystes Démocrates voient en cette menace à l’avortement une grande chance électorale : après deux années d’un mandat Biden très pauvres et décevantes au niveau législatif, cette menace permettrait de remobiliser la base du Parti Démocrate à voter aux élections législatives de mi-mandat afin de défendre ce droit face au Parti Républicain. La menace aux droits reproductifs est une horreur absolue, une tragédie d’une gravité générationnelle pour les femmes et les personnes trans qui peuvent tomber enceintes et enceints et… une opportunité électorale à saisir pour la classe politique libérale.
Par ailleurs, dans son discours donné suite à la révocation de Roe v. Wade, Joe Biden a appelé toutes les personnes voulant sauver le droit à l’avortement à voter pour le Parti Démocrate aux élections du mi-mandat et à « ne pas faire recours à la violence pour protester ». Pour Biden, donner l’horizon des élections après deux ans d’inaction législative et en ayant une cote de popularité de seulement 39% (une chute immense depuis les 54% dont le président Démocrate bénéficiait au début de sa mandature), s’apparente à un déni immense de la gravité de la situation. Selon les estimations de la majorité des journaux et instituts de sondage états-uniens, en novembre les Démocrates vont probablement perdre leurs maigres majorités au Congrès.

Le combat pour garantir les droits reproductifs ne va pas passer par les urnes : l’impasse politique est trop importante
La gravité de la situation aux Etats-Unis est telle qu’il est difficile d’imaginer une sortie institutionnelle de cette crise politique. Si les victimes des lois répressives et réactionnaires devaient faire confiance aux institutions et s’arrêter à elles, cela impliquerait d’accepter la légitimité des juges conservateurs à la Cour Suprême – nommés à vie – et attendre de nouvelles nominations et restructurations de la Cour.
Or, dans le moment actuel, la foi dans le jeu des institutions semble contradictoire aux instincts les plus basiques de survie.
On espère qu’un mouvement féministe révolutionnaire va embraser les États-Unis pour créer un rapport de force important contre les institutions gangrenées par l’extrême-droite et un Parti Démocrate plus intéressé par la lutte contre son aile gauche que celle contre l’extrême-droite.
Avec les collectifs Du pain et des roses, Alerta feminista ainsi que l’association Acceptess-t nous appelons à un rassemblement de solidarité avec les femmes et les personnes trans états-uniennes face à cette attaque patriarcale sur le droit fondamental de disposer de son corps ! 26 juin, Place de la République, 15h.
